Entre mémorial, plaidoyer, réflexion, tant personnelle que collective, Let’s Not Beat Each Other to Death
se révèle un curieux objet que l’on aborde d’abord par les sens, de
façon presque organique. On est d’abord intrigué par la proposition
visuelle, puis musicale, avant de céder à cette proposition théâtrale.
Ma critique sur le site de JEU...
Trajal Harrell misait sur l’extravagance avec son Antigone Sr, présentée au FTA il y a deux ans. Cette fois, l’expérience est autre avec M2M, Made to Measure, une commande du prestigieux MoMA de New York soulignant le 40e anniversaire des premières performances de la Judson Christ.
Avec ses complices Thibault Lac et Ondrej Vidlar (toujours aussi
magnétiques), Harrell joue cette fois la carte de l’intimité, la salle
de répétition du Monument-National se trouvant dépouillée à son maximum.
Lire ma critique de Jeu...
Comment travailler sur le noir, réussir à l’intégrer au mouvement? En
apprivoisant d’abord la peur par le son, en s’en moquant franchement
même.
Frottement de souliers, bruissement des vêtements, matriochkas qui
s’emboîtent les unes dans les autres; autant d’oscillations à peine
perceptibles qui finissent par prendre leur place, relever de
l’évidence.
Lisez ma critique sur le site de JEU...
« Je te compose, je te crée. Je te fais vivre et je te tue. Je te
ressuscite. » Michel Marc Bouchard a réussi à transmettre en quelques
phrases l’essence même de ce qui ne demandait qu’à devenir opéra.
Vous pouvez lire ma critique sur le site de JEU ici...
Chants libres frappe fort avec cette nouvelle production, proposée seulement jusqu'à demain soir. En effet, on a indéniablement droit à un sans faute avec The Trials of Patricia Isasa, un récit fascinant dans lequel on revient sur la captivité (pendant 33 ans) de l'héroïne éponyme argentine. La compositrice (qui tient aussi le rôle-titre!) Kristin Norderval et la librettiste Naomi Wallace nous offrent une lecture particulièrement réussie de cette page d'histoire qui évoque aussi les tortures pratiquées à Guantánamo.
Un livret intéressant ne suffit certes pas à rendre un opéra mémorable. Il faut séduire le public, aussi bien grâce à une distribution de haut niveau, quelques airs mémorables et une mise en scène qui fait corps avec le propos. C'est le cas ici. On a indéniablement envie de revoir cet opéra et de l'apprivoiser en détails.
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| Photo: Mathieu Dupuis |
Sorties 2014
Arts visuels et photo
Isa B et Vincent London (Galerie Dominique Bouffard)
Leslie Reid - Glacial (Galerie Laroche/Joncas)
Foire Papier 2015
Métamorphoses - Rodin (MBAM)
World Press Phooto (10e édition)
Cinéma en salle
Félix et Meira
Seymour: an Introduction
Cirque
Les méandres de Little Lady (Danse-Cité)
Impro Cirque (TOHU)
L'art de la fugue (TOHU)
Barbu - Foire électro-trad (Olympia, MCC)
Beyond (Circa, TOHU, MCC)
Le pianiste (Centaur, MCC)
Ruelle (Usine C, MCC)
Entre deux eaux (4 Sous, MCC)
Machine de cirque (TOHU, MCC)
Quien Soy (Outremont, MCC)
Duels (Place Émilie-Gamelin, MCC)
Danse
Ballet BC, programme triple (Danse danse)
Milonga (Danse danse)
Rocco (Danse danse)
À travers la pared (Danse cité)
Would (Usine C)
Je te vois me regarder (La Chapelle)
Dancing Grandmothers (FTA)
Solitudes duo (FTA)
Tauberbach (FTA)
Data (FTA)
Capitalist Duets (OFFTA)
Marionnettes
La maison près du lac (Festival de Casteliers)
Musique
Samson et Dalila (Opéra de Montréal)
Programme double opéra de chambre (Orchestre de chambre McGill)
Récital Emanuel Ax (Pro Musica et OSM)
L'Aiglon (OSM)
Silent Night (Opéra de Montréal)
Images de Sappho (BOP)
Musicophilia (Meta Theater Munich)
Hiérophanie (Festival MNM)
Musique d'art pour quintette à cordes (Festival MNM)
5 Waves (Festival MNM)
100 Guitares (Festival MNM)
Le chant du capricorne (Chants libres)
Illusions (ECM+)
Une soirée à l'Asile (SMCQ)
Gloria (OFFTA)
Pop/Jazz
Mika et l'OSM
Orphée karaoké (OFFTA)
Jamie Cullum (Festival de jazz de Montréal)
Dee Dee Bridgewater (Festival de jazz de Montréal)
Autres
La vérité en magie (OFFTA)
Keep in Touch (OFFTA)
Janvier
Marie Lefebvre, Flou ***
Yvon Rivard, Aimer, enseigner **** (essai)
Étienne Lalonde, Vivier, Claude *** (poésie)
Paul Auster et Sam Messer, L'histoire de ma machine à écrire ***
Jean-Sébastien Larouche et Mivil Deschênes, Aiming for the Gut ***1/2
Hazel Newlevant, If this be Sin *** (BD)
Stéphanie Deslauriers, L'éphémère ***1/2
Isabelle Lamarre, L'année des trois printemps *** (poésie)
J.-B. Pontalis, Marée basse, marée haute ***
Hélène Dorion, L'étreinte des vents ***1/2
Yoko Ogawa, Les tendres plaintes ***1/2
Jean-Philippe Blondel, 06h41 ***1/2
Clara Brunet-Turcotte, Demoiselles-cactus ***
Martine Audet, tête première / dos / contre dos *** (poésie)
Février
Danny Émond, Le repaire des solitudes ***
Félix Villeneuve, L'horloger ***1/2
Ketil Bjornstad, Fugue d'hiver ***1/2
Julie Birmant et Clément Oubrerie, Pablo tome 4 - Picasso *** (BD)
Simon Boulerice, Les jérémiades ***1/2
Jean-François Beauchemin, Une enfance mal fermée ***1/2
Jacques Poulin, Un jukebox dans la tête ***1/2
Larry Tremblay, Le Christ obèse ***
Gil et Paturaud, Victor Hugo - Aux frontières de l'exil *** (BD)
Hugo Léger, Le silence du banlieusard ***
Mars
Sophie Bérubé, Car la nuit est longue ***
Gaëlle Josse, Le dernier gardien d'Ellis Island ***
Clara Brunet-Turcotte, Mes sœurs siamoises ***
Christophe Mouton, Notre mariage ***
Guillaume Le Touze, Dis-moi quelque chose ***1/2
Luc Mercure, Port de mer **1/2
Estelle Cambe, Journal d'une femme qui court avec les loups *** (poésie)
Georg Buchner, Woyzeck *** (théâtre)
Monique Lachapelle, L'origine du monde **1/2
Simon Boulerice, Peroxyde *** (théâtre)
Jean-Paul Didierlaurent, Le liseur du 6h27 ***1/2
Avril
Maxence Jaillet et Mario des Forges, Chutes ***
Claude Brisebois, Banquette arrière ***
Vincent Brault, Le cadavre de Kowalski **1/2
Erik Orsenna, La grammaire est une chanson douce ***
Alessandro Baricco, Les barbares - Essai sur la mutation **** (essai)
Renaud Camus, Éloge du paraître ***
Marie Uguay, Journal ****1/2
Olivier Choinière et autres, 26 lettres - Abécédaire des mots en perte de sens ***1/2
Denis Thériault, Le facteur émotif ***1/2
René Char, Le marteau sans maître *** (poésie)
Wilfried N'Sondé, Berlinoise ***1/2
Lynda Dion, Monstera deliciosa ***1/2
Mikella Nicol, Les filles bleues de l'été ***1/2
Mai
Lydie Salvayre. Pas pleurer ***
Siri Hustvedt, Un été sans les hommes ***
Jillian et Mariko Tamaki, Cet été-là *** (BD)
Louise Warren, Objets du monde - Archives du vivant ***1/2
Serge Ouaknine, Le tao du tagueur ***1/2
Nancy Huston, Les variations Goldberg ***
David Foenkinos, Charlotte ***1/2
Roger Des Roches, Boitàmémoire ***1/2 (poésie)
Molière, Tartuffe ***1/2 (théâtre)
Murielle Magellan, N'oublie pas les oiseaux***
Antonin Artaud, Le théâtre et son double ***1/2 (essai)
Juin
Hans-Jürgen Greif, Le photographe d'ombres ***1/2
Antoine Choplin et Hubert Mingarelli, L'incendie ***
Anne Gazaille, Déni ***
Dany Laferrière, Je suis un écrivain japonais ***
Jennifer Tremblay, Blues nègre dans une chambre rose ***
Marie Christine Bernard, Matisiwin ****
Katia Belkhodja, La marchande de sable ***1/2
Marise Belletête, L'haleine de la Carabosse ***
Wadji Mouawad, Sœurs *** (théâtre)
Charlotte Gingras, No man's land ***1/2
Véronique Olmi, J'aimais mieux quand c'était toi ***
Robert Giroux, Debout sur le côté des choses *** (poésie)
Juillet
Maureen Martineau, Une église pour les oiseaux ***
Marie Christine Bernard, Autoportrait au revolver ***1/2
Alessandro Baricco, Trois fois dès l'aube ***1/2
Erri de Luca, Histoire d'Irène ***
Adrien Bosc, Constellation ****
Frankétienne, Chaophonie ***1/2 (essai poétique)
Julie Delporte, Journal ***1/2
William Lessard Morin, Ici la chair est partout ***
Ornela Vorpsi, Tu convoiteras **1/2
Daria Bignardi, Accords parfaits ***
Gaston-Paul Effa, Rendez-vous avec l'heure qui blesse ***
Dominique Scali, À la recherche de New Babylon ****
Michel Marc Bouchard, Les papillons de nuit *** (théâtre)
Mezzo et J,M. Dupont, Love in vain - Robert Johnson 1911-1938 ***1/2 (BD)
François Donatien, Minimax ***1/2 (BD)
Elizabeth Swados, My Depression ***1/2 (BD)
François Archambault, Cul sec *** (théâtre)
Marie Laberge, Oublier *** 1/2 (théâtre)
Claudie Gallay, L'amour est une île ***1/2
Août
Wadji Mouawad, Rêves ***
Hubert Aquin, Prochain épisode ***1/2
Morgan Le Thiec, Je n'ai jamais parlé de toi ***
Jean-Philippe Toussaint, Faire l'amour ***1/2
Rainer Maria Rilke, Auguste Rodin ***
Jean-François Beauchemin, Quelques pas dans l'éternité ***1/2
Mylène Fortin, Philippe H. ou la malencontre **1/2
Jacques Poulin, Jimmy ***
David Goudreault, La bête à sa mère ****
Christine Eddie, Je suis là ***1/2
Zoe Maeve, July Underwater *** (BD)
Mylène Durand, La chaleur avant midi ***
Zviane, Apnée *** (BD)
Sandrine Revel, Glenn Gould - Une vie à contretemps ***1/2 (BD)
La liste lecture de l'année 2015
Janvier
Mademoiselle Molière (Salle Fred-Barry)
Le journal d'Anne Franck (TNM)
Audition: me, myself and I (Quat'Sous)
Les laissés pour contes (Usine C)
Constellations (Petite licorne)
Spécialités féminines (Espace libre)
Peep show (La Chapelle)
Février
Forever Plaid (Centre Segal)
Le chemin des passes dangereuses (Prospero)
La cantatrice chauve / La leçon (Théâtre Denise-Pelletier)
Splendeur du mobilier russe (Espace libre)
Victor Hugo mon amour (Salle Fred-Barry)
La république du bonheur (5e Salle)
Le désert de GOBI (Prospero, salle intime)
Oh les beaux jours (TNM)
We are not alone (Centre Segal)
Ennemi public (Théâtre d'aujourd'hui)
Mars
Little Iliad (Espace libre)
Richard III (TNM)
Illusions (Prospero)
Collection printemps-été (Espace libre)
Javotte (Salle Fred-Barry)
Avril
Judy Garland, la fin d'une étoile (Duceppe)
Ceci est un meurtre (Aux Écuries)
J'accuse (Théâtre d'Aujourd'hui)
Travesties (Centre Segal)
Ludi Magni (Espace libre)
Judy Garland a dormi ici (Espace 4001)
Selfie (Théâtre d'Aujourd'hui)
Mai
Je te vois me regarder (La Chapelle)
The Tashme Project: The Living Archives (MAI)
Covers (Segal Centre)
Le repas des fauves (Rideau Vert)
Tartuffe (Schaubühne de Berlin, FTA)
What Happened to the Seeker? (FTA)
By Heart (FTA)
Juin
Orphée Karaoké (OFFTA)
The Apprenticeship of Duddy Kravitz - The Musical (Centre Segal)
Août
80 000 âmes vers Albany (Dramaturgies en dialogue)
Mythmaker ou de l'obscénité marchande (Dramaturgies en dialogue)
La terreur et le ravissement: Hubert Aquin (Dramaturgies en dialogue)
Octobre
Si les oiseaux (Prosperpo)
Tel quel, as is (Duceppe)
Funny Girl (Centre Segal)
Novembre
Guérillas (Studio Jean-Valcourt, Conservatoire de musique et de théâtre de Montréal)
Bientôt viendra le temps (Espace Go)
La divine illusion (TNM)
La liste complète
Ce titre improbable de comédie musicale roule off Broaway depuis 1997 et on comprend pourquoi. Dans un décor minimaliste (qui aurait pu être encore plus épuré, histoire de tirer profit de la scène tout en long du Segal), on nous offre une série de numéros bien ficelés qui permettent de vivre ou revivre certains moments clés d'une relation: du premier rendez-vous (une relecture hilarante alors que les principaux intéressés passent d'un seul coup du premier au cinquième rendez-vous) au veuvage, en passant par le mariage bien sûr. (On y retrouvera avec plaisir Always a Bride par exemple.) Il y a assurément quelque chose de bon enfant dans cette mouture montréalaise, volontiers nostalgique (cellulaires géants en prime) même si les histoires racontées restent tout aussi pertinentes (relations en lignes étant occultées, époque oblige). Un ballet amoureux, peu importe l'époque, reste toujours actuel.
Le quatuor de chanteurs se révèle impeccable et il faut admirer la façon dont Joe Dipiermo (livret) et Jimmy Roberts (musique) tirent profit d'un matériel simple, mais efficace. Ils sont soutenus ici par un simple trio piano, violon et basse, sous la direction de David Terriault sans que l'on se sente brimé par ce choix. Soulignons également les très beaux costumes de Louise Bourret, particulièrement inspirés.
Un parfum vintage qui nous laisse avec le sourire aux lèvres.
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| Photo: Andrée Lanthier |
J'avais été séduite par le documentaire scénique Vrais mondel y a deux ans. Sans aucune réserve. Alors que je vois un nombre certain de spectacles chaque année et que, forcément, certains me laissent une impression plus floue, je me rappelas avec précision de plusieurs de ces rencontres plus grandes que nature, de cette complicité indéniable entre Anaïs Barbeau-Lavalette et ces « sujets » qui n'avaient rien d'ordinaire, de l'accompagnement musical en direct d'Émile Proulx-Cloutier.
La mouture proposée cette fois-ci, liée directement au quartier Centre-Sud (belle initiative d'ailleurs de l'Espace libre de chercher à s'ancrer de cette façon dans son quartier, notamment en offrant un tarif réduit aux résidents pour tous les spectacles de la saison) n'est étrangement pas de la même eau. La formule semble identique pourtant (l'idée d'intégrer des images du quartier de jadis, avant la construction de Radio-Canada, se révèle par exemple une brillante idée) et certaines tranches de vie poussent à la réflexion.
Ainsi, Jaqueline, l'effeuilleuse qui était l'un des premiers transsexuels du quartier, peut être perçu comme un écho de Jean-Guy, qui s'habille maintenant en femme (sauf quand il voit ses petits-enfants), croisé après le spectacle alors qu'il troquait les talons hauts pour des souliers plus confortables. On est fasciné par le travail de François qui a passé des années à traquer aux quatre coins du pays des taches de sang, charmé par le libraire du Chasseur de trésors, touché par le regard unique que pose Cybelle sur la vie malgré un passé que plusieurs qualifieraient de lourd.
Malgré cela, il y a quelque chose qui semble enrayé. Le lieu se révèle pourtant plus propice que la Cinquième salle aux confidences. On se sent au cœur même d'une communauté, indéniablement. Alors, d'où provient le malaise? Du regard posé lui-même? Du montage qui aurait eu avantage à être resserré? De l'impression de devenir voyeur? Pourtant, pas une seconde je n'ai ressenti cette impression il y a deux ans.
J'ai quitté les lieux avec une impression de rendez-vous manqué, alors que je ne demandait qu'à changer le regard que trop souvent nous posons sur notre monde.
Julien et Marguerite sont les enfants de Jean III de Ravalet, seigneur
de Tourlaville, en Normandie. Cela aurait pu être une histoire banale de
fratrie, mais leur complicité se mue en quelque chose qui les dépasse,
qui pousse leur famille à les séparer et marier Marguerite à Jean
Lefevre.
Vous pouvez en apprendre plus sur l’œuvre de John Rea qui s'inspire du Petit livre de Ravalet sur le blogue de JEU... Le tout sera présenté lundi prochain le 16 mai à l'Usine C.
Avec 887, son dernier spectacle présenté jusqu'au 8 juin au TNM (faites vite, il ne reste déjà que quelques billets), Robert Lepage propose un travail fascinant sur la mémoire, aussi bien individuelle que collective. Largement autobiographique (nul besoin ici de même tenter de franchir la frontière de l'autofiction), le one man show, porté par une équipe de collaborateurs vêtus de noir, véritables ex machina de la pièce, se décline comme un plaidoyer sur la nécessité de se souvenir.
Oui, il sera question de la famille Lepage, de ce bloc appartement de la rue Murray à Québec dans lesquels se côtoient vies parallèles et complémentaires. Fratrie, parents, grand-mère et voisins sont évoqués, mais ces tranches de vie servent d'ancrage à un propos qui va bien au-delà de l'anecdotique, le tout permettant de tracer le portrait oh combien essentiel d'une époque, révolution qui au fond n'avait de tranquille que le nom. Que sont devenus les interrogations, les bouleversements sociétaires? Notre parole aseptisée a malheureusement oublié de se souvenir. (Rarement maxime s'est révélée aussi dépouillée de sens.)
Menant de façon implacable au redoutable Speak White de Michèle Lalonde (toujours aussi essentiel aujourd'hui qu'en 1970), la pièce est construite de façon magistrale, véhémence et nostalgie se succédant en une série de tableaux qui forcent le spectateur à s'interroger sur sa propre lecture de l'histoire (petite et grande).
Robert Lepage est l'un de nos plus grands créateurs et il serait futile de l'oublier. Après nous avoir offert un troublant portrait de Sade dans Quills il y a quelques semaines à peine, il marque de nouveau les imaginaires, refuse le statu quo et la langue de bois. Indéniablement, 887 fera assurément date.
Il y avait quelque chose de fascinant à retrouver après toutes ces années le Clavier bien tempéré de Gould. Une telle force dans l'interprétation, presque trop véhémente selon moi. Une impossibilité de se caler dans le texte de Bach d'une certaine façon, d'être condamné plus ou moins contre son gré à écouter du Gould. Pourtant, on ne sent pas cet envahissement quand on écoute les Goldberg, que ce soit la première ou la deuxième version (selon vos préférences).
En superposant la danse au Clavier bien tempéré (pourtant un texte dansant, surtout les préludes), je me suis retrouvée devant une série de questions esthétiques qui me confrontent avec ma propre interprétation du Clavier bien tempéré. Les certitudes sont faites pour être déboulonnées! Heureusement!
À écouter ici...
On voudrait aimer Televizione sans aucune restriction. Sébastien Dodge aborde de front des questions essentielles, à coups de phrases souvent assassinent héritées du slapstick. On y fait feu de tout bois: l'omniprésence de la télévision (et sa collection d'émissions plus insipides les unes que les autres), la désinvolture crasse de nos gouvernements, l'indifférence de tout un chacun, qu'il s'agisse de son voisin habite à quelques coins de rue ou à plusieurs milliers de kilomètres. (Qui se souvient encore de la seconde guerre italo-étiopienne?)
Malheureusement, trop c'est comme pas assez et on sort du Quat' Sous avec une impression d'attention dispersée, voire de coups d'épée dans l'eau. Impossible par exemple d'oublier la lourdeur gratuite du segment sur la beauté perdue de Gina (interminable) ou le caca nerveux de ce cher Mike qui ne sait plus comment attirer l'attention de ses anciens fidèles.
Mais impossible d'oublier le travail exceptionnel de la distribution, souvent jouissif. Le plaisir du théâtre à sa plus simple - et fascinante - expression. Louis-Olivier Mauffette campe un ancien militaire canadien parfait sous tout rapport, aux ouaip! retentissants. Marie-Ève Trudel dans le double rôle d'une Colombine frustrée de ne pas travailler et de Gina qui voit sa carrière péricliter la première ride venue, hérite d'une partition plus difficile à calibrer. On ne peut cependant qu'être soufflé par les performances électrisantes de Mathieu Gosselin (Benito et multiples rôles délirants) et surtout de David-Alexandre Després en Arlequin. Son jeu physique (qu'il a notamment pu travailler dans Kurios du Cirque du soleil) et l'ampleur de sa palette séduisent sans aucune réserve.
Cette pièce passera-t-elle à l'histoire, suscitera-t-elle une volonté de changer le monde? Non, malheureusement. Elle nous rappellera cependant que nous disposons ici d'une pépinière de talents qui ne demandent qu'à être exploités.
Jusqu'au 28 avril au Quat' Sous
« La race humaine doit sortir des conflits en rejetant la vengeance, l’agression et l’esprit de revanche. Le moyen d’en sortir est l’amour. »
Martin Luther King
Que reste-t-il d'un livre dans notre esprit, une semaine, un mois, dix ans après sa lecture? Quelques réflexions sur le sujet, après avoir vu la mise en scène du roman L'orangeraie.
Impressions audio...
L'orangeraie de Larry Tremblay est un livre qui hante bien après la dernière page tournée. Un conte qui ne se termine certes pas sur le traditionnel « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants », mais qui donne l'impression d'avoir voyagé, autant ailleurs qu'en soi. En effet, on y raconte en termes volontiers flous un de ces conflits idéologiques (trop nombreux), sur une terre où brille le soleil et fleurit la haine de père en fils.
Il était presque naturel qu'on souhaite porter à la scène cette histoire de jumeaux identiques (chapeau côté casting!) dont un sera sacrifié, qui avait séduit la critique lors de sa parution. Et puis, quel meilleur adaptateur que son auteur, également dramaturge, romancier et poète, Larry Tremblay!
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| Photo: Gunther Gamper |
Les attentes sont faites pour être défiées et c'est tant mieux. Je n'en avais pas beaucoup, à vrai dire, avec Boum, one-man-show de Ricky Miller, qui collectionne les projets hybrides et qui a notamment travaillé avec Robert Lepage. Je m'attendais à un tour de chant, dans lequel Miller aurait enchaîné les imitations, refaisant vivre aux baby-boomers (dont je ne suis pas) les émotions de leur jeunesse, mais le spectacle va bien au-delà de la prouesse vocale et des aptitudes de l'interprète de confondre le public à l'oreille.
Il est plutôt question d'une leçon d'histoire nouveau genre, la petite (celle de trois personnages principaux, ayant vécu cette époque) se mêlant à la grande. En un véritable feu roulant, Ricky Miller évoque certains moments historiques clés (d'autres défilant sur un astucieux écran transparent cylindrique pendant qu'il chante). Pas de temps mort, mais néanmoins aucune sensation d'étourdissement. (Quand on réfléchit au nombre d'heures de recherche et de répétitions pour que tout cela roule sans heur, on ne peut qu'être soufflé!) On a le temps d'assimiler aussi bien les histoires des charmants personnages principaux que de revivre les événements historiques importants, incluant une belle brochette de moments 100 % canadiens. (Si on nous avait présenté le cours d'histoire du Canada de façon aussi dynamique, on aurait sans doute retenu plus que des bribes... La production devrait faire merveille auprès du public adolescent.)
Miller a étudié en architecture avant de se tourner vers le théâtre et cela se immédiatement perceptible. Chaque choix (audio ou vidéo) s'articule comme une série de blocs parfaitement encastrés les uns dans les autres, chose suffisamment rare au théâtre pour ne pas être mentionné.
La suite (années 1970-80) compte parmi les projets de Miller des prochaines saisons. Hâte de voir comment celui-ci pourra évoquer son époque plutôt que celle de ses parents.
Jusqu'au 10 avril au Centre Segal
Oui, plusieurs iront voir Quills pour Robert Lepage et on reconnaît indéniablement la facture si particulière de ses spectacles (la scène circulaire ou les trappes dans le plancher par exemple), mais cela va encore bien plus loin. Oui, il est question de Sade, de ses excès, de sa cruauté, de ses dernières années passées emprisonné, mais la pièce de Doug Wright va bien au-delà de l'anecdotique ou du choquant. Elle se lit plutôt comme un pamphlet contre la censure, qu'elle soit littéraire, sociale ou politique, malheureusement encore plus pertinent aujourd'hui que lors de la création de la pièce en 1995.
La magistrale traduction de Jean-Pierre Cloutier (qui tient également le rôle de l'Abbé de Coulmier et assure la co-mise en scène), qui intègre des termes en français d'époque, ajoutant un indéniable cachet d'authenticité au tout. Malgré la modernité évidente de la scénographie (une série de jeux de miroirs qui nous renvoie à la nature même des faux-semblants), on a l'impression d'un retour dans le temps, de vivre les aventures du marquis (brûlé en effigie en 1772 pourtant) presque en temps réel.
Portée par une distribution sans faille (incluant Robert Lepage, qu'on voit trop rarement dans des productions qu'il n'a pas signées, dans le rôle-clé du marquis) et par des images d'une grande puissance, qui favorise les doubles lectures, Quills se rapproche indéniablement de l'Oeuvre d'art totale qui faisait tant rêver Wagner.
Rarement a-t-on l'occasion d'être témoin d'un tel moment de théâtre.
Jusqu'au 9 avril à l'Usine C

Le combat des chefs: dimanche 20 mars, 14 h
Deux monstres sacrés, deux esthétiques fort différentes, presque diamétralement opposées. L'un mise avant tout sur le contact avec le public et la pédagogie (pas moins de 10 millions de spectateurs suivaient avec passion les émissions jeunesse de Bernstein), l'autre la diffusion par voie audio ou cinématographique (jusqu'à la toute fin, Karajan relira ces films musicaux, se taillant le plus souvent la part du lion). L'un avait été affilié au parti Nazi (moins par conviction que par volonté de disposer d'un orchestre), l'autre allait mettre sur pied l'Orchestre symphonique d'Israël. Karajan privilégiait un regard presque sacré sur la musique, Bernstein l'expression. L'un se veut démagogue, l'autre démiurge et pourtant, ils se retrouvent, se complètent plutôt, quand ils se frottent à Mahler.
Du début à la fin, le documentaire mise sur les oppositions entre les deux chefs, Seiji Ozawa (qui a étudié avec Bernstein avant d'être associé à Karajan) servant de pont entre les deux, offrant certaines clés pour comprendre les forces si particulières des deux géants. « J'aime la musique et les gens, conclut Bernstein. Entre les deux, je ne sais pas ce que je préfère. » La grande différence, au fond, est là.
Le paradis perdu - Arvo Pärt: : samedi 19 mars, 19 h 30 et dimanche 20 mars, midi. On propose aussi un film autour d'Adam's Passion dimanche à midi.
Pärt reste l'un des rares compositeurs contemporains à faire l'unanimité ou presque, particulièrement au niveau du public. Langage minimaliste, souvent mystique, en séduisent en effet beaucoup dans cette ère de je-me-moi ou de dépersonnalisation.
Günter Atteln propose un portrait nuancé du compositeur, mais aussi de la production scénique qu'a tiré Robert Wilson d'Adam's Passion du compositeur estonien. Comme souvent, Wilson a fait fort avec ce portrait mettant au premier plan le sacré - et non la religion. En effet, pour lui, le religieux (tout comme le politique) n'a pas sa place sur scène. On y entendra également des extraits de Tabula rasa et Spiegel im Spiegel, ainsi que de son Credo.
Je vous recommande aussi, lors d'une présentation dans un autre cadre, le très inspirant L'art fait du bien 2 - Cirque et théâtre, qui traite de théâtre et de cirque social, ainsi que Soundhunters, une série de portraits de spécialistes en musique concrète. Fascinant.
Si nous privilégions une certaine mémoire de la chanson populaire, on ne peut malheureusement pas en dire autant de la danse, classique on contemporaine. Pourtant, au Québec, nous avons eu des danseurs exceptionnels, devenus dans plusieurs cas mémoires vivantes.
C'est le cas de Vincent Warren. Si vous avez 50 ans et plus, il est fort à parier que vous l'avez vu danser, sur scène en qualité de premier danseur des Ballets canadiens ou à la télévision (à cette époque bénie quand pièces de théâtre, concerts et ballets étaient proposées sur la chaîne d'état toutes les semaines). Certains se rappelleront aussi peut-être de sa performance envoûtante dans le Pas de deux de Norman McLaren.
Le film de Marie Brodeur adopte une narration chronologique, nous offrant des photos des premières leçons de ballet du cadet d'une imposante famille, puis de sa période au Metropolitan Opera, où il croise notamment Stravinski. Cela aurait pu être intéressant, mais sans plus, mais sans compter sur l'indéniable charisme indéniable de Warren, qu'il se produise sur scène ou qu'il se raconte.
Polyvalent, il dansera, tout aussi bien dans les ballets qu'avec des compagnies de danse contemporaine (il était l'un des rares aussi polyvalents), en faisant un chouchou des chorégraphes. À 40 ans, il choisit la retraite en 1979 avec le ballet Adieu Robert Schumann de Brian Macdonald (que le chorégraphe refuse de voir dansé par d'autres), qui mettait également en vedette la grande contralto Maureen Forrester (quelle soirée!). L'histoire pourrait s'arrêter là, mais sans compter sur le dynamisme de Warren qui se plongera dans l'enseignement, mais aussi l'élaboration d'une importante bibliothèque de danse (la plus impressionnante au Canada).
Un être fascinant que l'on voudrait avoir comme voisin, comme ami.
Dimanche 20 mars 17 h, Musée des beaux-arts
Gehry et Koons sont deux personnages assurément fascinants. On reconnait d'un seul coup d’œil les formes courbes des édifices du premier (l'architecte a frappé un nouveau grand coup avec le travail qu'il a récemment effectué sur l'édifice de la Fondation Vuitton) et du regard si particulier que le second porte sur le monde de l'enfance (ses chiens en faux ballons de baudruche soufflés ou encore son Popeye). Les deux ont suscité (ou continuent de susciter) les passions. On aime - voire on adore, à en juger par exemple par les files lors de l'expo Koons à Paris - ou on déteste. Gerhy est « le Kim Kardashian de l'architecture » n'hésite pas à affirmer une de ses collègues qui affirme, le sourire en coin, que tout n'est qu'une question de marketing - on pourrait facilement apposer une telle affirmation au travail de Koons!
Si Gehry a ses détracteurs, il séduit un très grand nombre. Impossible de ne pas se sentir presque bouleversé par son travail au Guggenheim de Bilbao (dont les façades deviennent dorées par mauvais temps), de céder aux courbes du Walt Disney Hall ou de sourire devant la maison dansante de Prague. Dans le documentaire présenté au FIFA, on s'attarde plutôt à la construction de l'édifice de l'UFS de Sidney. Un regard fascinant sur les défis liés à la construction de cet édifice qui semble tenir par magie. Soutenu par une équipe d'experts, Gehry continue de créer à 1987 ans.
À 61 ans, Koons prétend disposer d'encore une trentaine d'années au niveau de la création. Le regard qu'il porte sur le monde renvoie de façon presque subversive le spectateur à lui-même, à son enfance aussi bien qu'à sa mortalité, étrange exercice de séduction qui laisse toujours le spectateur avec une curieuse impression de réconfort et de malaise. En cette ère d'égoportraits, il ne faut sans doute pas se surprendre de sa popularité.
Getting Frank Gehry from Kingdom_of_Ludd on Vimeo<
Jeff Koons, Diary of a Seducer: 18 mars midi 30, 19 mars 19 h 30
Getting Fred Gehry: 19 mars 19 h 30